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Je veux un tatouage mais mon conjoint me l’interdit.

La question de notre internaute :

Je voudrais me faire tatouer, mais cette idée est insupportable pour mon partenaire qui se braque et s'énerve quand j'en parle. Je ne comprends pas sa réaction.

Ce qu'en dit Sarah :

« J'en saurai plus sur toi quand j'aurai vu. Avec quelle image, quelle phrase profanes-tu ta peau ? Qu'est-ce qui vaudrait bien la peine de durer autant que ton propre corps, de se décomposer avec toi ? » fait dire Stéphanie Hochet à l'étrange narrateur de Sang d'encre, un texte d'une noiceur envoûtante dont je recommande vivement la lecture à toute personne qui s'intéresse aux tatouages.

Se faire l'objet d'un autre, endurer la douleur et la traverser

Vous voulez vous faire tatouer. Cette idée déplaît à votre partenaire. Mais à votre avis, qu'est-ce qui lui est le plus insupportable ? L'acte même qui consiste à laisser un tiers, le tatoueur, se livrer à son art sur un morceau, si infime soit-il, de votre enveloppe corporelle ? Dans l'acte même de se faire tatouer, il y a un consentement, inconscient, à se faire, le temps de la pose du tatouage, objet d'un autre, quitte à endurer et traverser une certaine douleur. Votre partenaire craint-il de vous imaginer dans cette posture ? Et vous, qu'en pensez-vous ?

Corps aimé et corps aimable

Mais peut-être s'agit-il de bien autre chose. Un tatouage n'est pas une décalcomanie que l'on peut enlever à l'eau à la fin de la journée, mais une inscription durable, quasi-indélébile. Peut-être votre partenaire a-t-il peur de ne plus aimer votre corps s'il est tatoué et que ce désamour soit, lui aussi, irréversible ?

A moins qu'il ne critique avant tout le choix de l'inscription ou de l'image que vous souhaitez vous faire tatouer voire, éventuellement, sa localisation. Dans tous les cas, même si votre corps vous appartient, il y a chez votre partenaire une crainte, qui est à respecter, à écouter, et à comprendre.

Le tatouage raconte un fantasme

Rides, cicatrices, grains de beauté, taches de naissance, taches de vieillesse, vergétures après une grossesse... Notre peau est une cartographie singulière et mouvante de notre existence. Se faire tatouer, c'est investir un lieu précis de sa propre surface corporelle (le bras, l'épaule, le poignet, la cheville, le bas du dos, etc) d'une charge libidinale et érotique particulière.

Et, bien au-delà de sa dimension esthétique, l'image ou l'inscription choisie par le tatoué est un rébus qui raconte un fantasme. Le tatouage voile un morceau du corps en recouvrant la nudité de la peau, tout en la dévoilant davantage. « Jouer avec ce que la nature vous a donné. S'entraîner sur une feuille plate en sachant que rien n'est plat sur le corps humain. Le corps a horreur du plat. Quelle partie choisir ? Le flanc, le bras (la mode éternelle des marins), le cou ? Savoir qu'on doit toujours contourner le coude, le plexus, la plante des pieds, l'intérieur de la main. En dehors de ça, tout est tatouable. Tatouable ? Alors que choisir ? Quel sens donner à la partie de votre corps que vous avez élue ? Se sentir Dieu de désigner l'endroit où la pointe va percer, car seul Dieu décide d'isoler tel membre dans la maladie ou dans l'accident qui brisera les os », écrit encore Stéphanie Hochet.

Modifier le corps qui nous a été donné

Pratique ancestrale, le tatouage s'est depuis plusieurs années, profondément démocratisé : il n'est plus l'apanage des bagnards, des légionnaires, des gens du voyage, des personnes déportées pendant la guerre, ou des rock-stars. C'est un geste d'affranchissement tout autant qu'une façon de reconfigurer son corps en faisant œuvre de soi. Mais justement, vous, pourquoi voulez-vous vous faire tatouer ?
Nous ne naissons pas tatoués. Choisir de le faire, quand ce désir s'enracine et qu'il ne relève pas d'un caprice, c'est aussi, parfois, manifester son désir de modifier le corps qui nous a été donné par nos parents.

Dans les cultures tribales, les modifications corporelles (tatouages, scarifications rituelles...) interviennent toujours au moment de rites de passage qui lient un sujet à sa communauté d'appartenance (puberté, mariage, deuil...). Aussi, serais-je tentée de vous demander : à votre avis, à la suite de quel événement, avez-vous souhaité vous faire tatouer ?

Sarah Chiche
www.sarah-chiche.blogspot.com