J’ai besoin de plaire tout le temps
La question de notre internaute :
J'ai besoin de plaire, tout le temps, même en couple. Est ce que ça passera un jour ?
Ce qu'en dit Sarah :
La séduction fait partie du jeu social : au travail, quand il s'agit de convaincre un interlocuteur, dans les dîners entre amis quand l'un des convives se lance dans des blagues désopilantes, les séducteurs se montrent particulièrement habiles à capter l'attention de l'autre et à charmer leur auditoire. Une fois encore, tout est une question de degrés. Avoir envie de plaire n'a, en soi, rien de pathologique. Avoir viscéralement besoin d'attirer l'attention de n'importe qui et se livrer à une théâtralisation permanente de la relation à autrui, en étant prêt à séduire une table, c'est autre chose. C'est par exemple toute la différence entre la femme qui se maquillera avant de retrouver une personne à qui elle veut plaire et celle qui ne peut pas sortir de chez elle sans être maquillée, même si c'est pour aller chez le boulanger.
Certaines personnes, dès qu'on ne les regarde plus, ne se sentent plus exister.
Entre l' enfant qui, dans un square, implore son père ou sa mère de le regarder faire du toboggan et le séducteur pathologique qui cherche par tous les moyens à ce qu'on reconnaisse en lui un être unique, il n'y a parfois pas une grande différence. Certaines personnes, dès qu'on ne les regarde plus, ne se sentent plus exister. Seul le témoignage de l'autre leur fait se sentir être-au-monde.
Dans Le journal du séducteur, le philosophe Soren Kierkegaard fait de la séduction une satisfaction esthétique et un concept de l'existence. Se-ducere, cela veut dire « conduire hors de ». Ce que cherche le séducteur, c'est à détourner l'autre de son chemin, de son existence propre, tout en lui faisant croire qu'il reste maître de sa destinée. La personne séduite devenant ce qui permet à l'autre de construire son moi – quitte à ce que cette construction passe par la mise à mort symbolique de l'autre. Ainsi, dans le texte de Kierkegaard, Johannes met tout en œuvre pour séduire la jeune Cordélia et, dès lors qu'il atteint son but, Cordélia est néantisée en tant que personne, tout en restant idéalisée comme matériau.
Plaire à un autre ou plaire à n'importe qui ?
Vous vous inquiétez d'éprouver le besoin de plaire tout le temps même quand vous êtes en couple.
D'une part, il convient d'établir une distinction entre la personne qui, tout en étant en couple, va éprouver le besoin de séduire d'autres personnes sans passer à l'acte (ce qu'on appelle un « allumeur » ou une « allumeuse ») de l'individu pour qui le besoin vital de plaire passe par le passage à l'acte (un rapport sexuel) avec toutes sortes de partenaires (ce type de conduite pouvant aller jusqu'à l'addiction sexuelle). Et pour vous, « plaire, tout le temps », qu'est-ce que ça implique ?
D'autre part, être en couple et chercher à séduire une autre personne (une personne en particulier) n'est pas du tout la même chose qu'être en couple et chercher à séduire n'importe qui d'autre (toutes les personnes qu'on croise). Dans le premier cas, il faut interroger ce qui pose problème dans le couple et amène à désirer ailleurs ; dans le second cas, le besoin éperdu de plaire à n'importe quel autre, quel qu'il soit, cache souvent une profonde faille narcissique qui prend ses racines dans l'enfance.
Par ailleurs, si vous évoquez dans votre question votre besoin de séduire vous ne mentionnez pas ce qui peut vous faire vous attacher à autrui. Par exemple, pour vous mettre en couple, jusqu'à quel point avez-vous besoin d'être séduite ?
En résumé, puisque vous vous demandez si « cela passera un jour », peut-être pourriez-vous vous poser la question suivante : quel jour cela a-t-il commencé ? A votre avis, à partir de quand avez-vous éprouvé le besoin effréné d'attirer l'attention de l'autre ? Le besoin de plaire à tout prix est parfois lié à des chagrins d'enfance. Si votre comportement vous fait souffrir et nuit à la qualité de votre relation de couple, peut-être est-ce le moment pour vous de vous interroger. Précisément, comment vous regardait-on quand vous étiez petite ? Et avec quels yeux regardiez-vous le monde ?
Sarah Chiche
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